fragments de juin

En complément de ces fragments, ici trois autres compositions inspirées du travail de Fabienne Swiatly.

Jean Oury a dit quelque chose comme le plus difficile dans le travail consiste à « organiser le hasard ». J’étais d’accord. J’y trouvais même un étrange écho en revoyant La science des rêves de Michel Gondry. Stéphanie (Charlotte Gainsbourg) rajoute des morceaux de papiers blanc sur la mer de Stéphane (Gael García Bernal) dans une tentative de recréer le hasard.

La sciences des rêves – Michel Gondry (2006)

L’impression que ce qui faisait la précision de mon regard s’est brouillé.

Nous sommes souvent des parents, des enfants « en retraite » toujours. Je n’arrive plus à me souvenir de qui m’a dit ça.

J à N, qui porte le hijab : T’as des cheveux en tissus.

N, 9 ans, conçoit une ville avec les maisonnettes en plastique d’un jeu de Monopoly. Il utilise les pions de métal pour raconter une histoire. Il m’explique pourquoi il a agencé les maisons de la sorte, avec celle du chef de la ville situé de façon à ce que tout le monde la voit. Dans les grandes maisons, il y a des gens qui font du travail de riche et dans les plus petites des gens normaux qui font un travail normal qui sert aux gens.

Cela fait plus d’un mois que nous venons dans cette maison d’enfants pour leur raconter des histoires et chanter des chansons avant qu’ils aillent se coucher. Le dernier jour, une fillette s’élance, la courageuse du groupe qui a préparé une chanson pour nous. Elle seule, sa voix pleine d’énergie, nous remercie, nos prénoms un à un, leur joie, son émotion à elle, elle gagne d’autres enfants, la notre en retour. Les enfants rient, s’applaudissent. N, 11 ans, observatrice : « ça se voyait que Alice avait envie de pleurer« .

Ma mère est petite, moi je veux prendre la taille de mes oncles.

Jouer avec V., une petite fille de trois ans qui répète ce que je dis avec une espèce de fascination. Nous jouons avec des petites cannes à pêches aimantées, V m’apprend à pêcher, me montre comment il faut retrouver un gros poisson et un plus petit. Elle me dit j’attrape la maman, toi le bébé.

Rencontrer un partenaire dans un CHRS, une collègue de formation en première année par la même occasion. Pique-nique au soleil avec les résidents. Un moment assez dingue, inattendu, qui me permet de souffler. Travail social prend tout son sens alors que nous discutons à bâtons rompus, le tutoiement est de mise, l’humour, la répartie, tout s’enchaîne dans nos sourires. Une énergie qui me soulage.

Aller chercher L à l’école. Je lui propose d’acheter un goûter, elle refuse. Elle veut parler, elle hésite. Je ne force rien, je connais les timidités qui donnent les joues roses mais n’empêchent pas, une fois la confiance donnée, de dire. Et finalement, nous discutons de beaucoup de choses, même s’il s’agit de notre deuxième rencontre. Nous croisons un monsieur qui nous fait un signe de la main comme pour nous dégager du trottoir, accompagné d’une espèce de crissement de dents. Elle imite le type, je lui demande si elle parle le crrr et elle éclate de rire. Nous discutons un peu dans cette langue nouvelle, l’enfant me réclame finalement un goûter et se saisit de ma main pour traverser une rue animée.

Prendre le temps, avec J, de fouiller dans les archives de l’endroit où nous travaillons, un éduc se retrouve les cheveux brunis, on revient dix, quinze, vingt ans en arrière à suivre son sourire sur les photos que l’on prenait le temps d’imprimer. Ce temps-là, je m’en rappelle en images moi aussi. Il y a presque vingt-quatre ans je naissais, il y a vingt, dix ans, on prenait encore des photos avec des appareils, des photos que l’on développait et qui venaient alourdir les tiroirs d’albums. Emotion partagée que de dénicher, dans cette caisse, les mêmes albums photos plastiques des studios de tout Paris, des visages d’enfants qui se sont transformés, dilués dans le temps. Avec J, nos voix s’unissent, aujourd’hui, où sont ces enfants, quel devenir pour ces airs graves, ces sourires, ces regards qui nous observent autant que nous les observons ?

Je n’ai pas le temps d’écrire, je n’ai pas le temps de me reposer, je n’ai pas le temps, je réfléchis, un peu, beaucoup, je suis envahie de moi, des autres. Juillet arrive, j’inspire.

4 commentaires

  1. J’espère que juillet te tient ses promesses. Heureux de te lire, et de trouver le nom de Jean Oury, et ton accord avec lui. En prolongement, si tu ne les as pas lus, je te suggère deux livres sur La Borde : Dieu gît dans les détails de Marie Depussé, et De Léros à La Borde de Félix Guattari.

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